Visite inoubliable: teqe de Sari Salltik à Kruja

Pour ceux qui me lisent depuis un moment vous connaissez maintenant mon intérêt pour les Bektashis. J’ai visité chaque teqe que j’ai croisé sur ma route en Albanie ou a l’étranger,  participé aux fêtes religieuses, rencontré derviches et croyants, exploré les musées, prié dans les turba, mais s’il y a une expérience qui m’a vraiment marquée, c’est la visite du teqe Sari Salltik à Kruja.

Laissez moi vous conter cette visite…

En juin dernier alors que je faisais le tour de l’Albanie avec mes oncles, nous sommes de passage à Kruja. Alors que nous visitons le Teqe Dollma dans l’ancienne forteresse, je me renseigne sur l’existence d’un teqe dont on m’a parlé tout en haut d’une montagne aux alentours de Kruja. La visite de la ville continue et on oublie le teqe Sari Salltik.

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Mais il se rappelle a nous lorsque nous souhaitons reprendre la voiture pour nous rendre à notre hôtel et découvrons que les phares sont restés allumés toute la journée la batterie est presque à plat. Une seule solution pour la recharger: rouler, oui mais pour aller oú? Au teqe en haut de la montagne pardi! Nous voila donc sillonnant les zig zag de la montagne après avoir demandé notre route plusieurs fois (puisque évidemment le teqe n’est pas indiqué). Nous montons assez haut pour voir non seulement toute la ville ancienne et nouvelle de Kruja mais également la mer adriatique!

Et puis tout à coup, nous sommes engloutis par les nuages!

Alors que nous roulons super prudemment, un xhaxhi (un homme d’un certain âge) sur le bord de la route nous fait signe du doigt qui veut dire « est ce que vous montez en haut de la montagne? » On s’arrête. On lui demande ou il va, au Teqe répond t-il, il monte à l’arrière. Apres avoir passé plusieurs petits chalets hôtels tout droit sortis d’une carte postale de la forêt noire, nous arrivons en haut de la montagne, avec devant nous un hôtel abandonné. Je demande à notre auto-stoppeur ‘on ne peut pas aller plus loin, on s’est trompés de route? » Non dit-il faut continuer à pieds maintenant. Mon oncle ne veut pas arrêter la voiture de peur de ne pas pouvoir redémarrer. On convient donc que j’aille avec Monsieur et si je ne reviens pas dans 15 minutes il descend me chercher (on ne sait jamais).

J’avoue que je vois pas bien ou nous allons mise à part cet hôtel abandonné il n’y a rien! Mais je le suis. En effet, sur la gauche, il y a un passage avec des escaliers. il dit c’est là! Je vois bien des marches vertes abruptes qui descendent, mais le brouillard est si épais que je ne vois pas ou elles mènent, je vois seulement le flanc de la montagne à pic en face. Comme mon nouveau guide me voit hésiter à descendre il me dit  » tu as peur? » je réponds « oui, un peu », en pensant à l’altittude, mais lui comprends que j’ai peur de descendre seule avec lui il me dit « je te jure devant Allah que je suis le gardien du teqe je viens les soirs ici pour le surveiller, n’aie pas peur ». Nous descendons donc dans les nuages. Apres plusieurs minutes de descente sur ma droite un portail vert. Le gardien pousse les portes. J’ai devant moi l’incroyable teqe de Sari Salltik bâti au sein d’une fissure de la montagne!

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A l’intérieur du teqe sont accrochées d’anciennes photos et portraits de Baba et derviches et sur la  gauche alors que la fissure dans la montagne se prolonge un petit autel sur lequel brûlent plusieurs bougies que les nombreux pélerins viennent allumés. Sur la droite du teqe un escalier mène aux turba creusées à même la roche et tout au bout une cuve qui récupère les eaux d’une source curative qui goutte des flancs de la montagne. A mes pieds un petit gobelet en métal, j’ouvre le robinet et je verse une grande rasade d’eau fraîche de la source (qui sait je suis peut être immortelle maintenant!). Au moment ou je remonte l’escalier vers le teqe mon oncle débarque.se demandant ce que je fais depuis tout ce temps. Le gardien me dit en albanais « je te laisse lui ré- expliquer » et il s’en va. Nous redescendons à la source et aux turba puis au teqe et j’en profite pour faire plusieurs photos. Plus tard nous retrouvons notre guide perché dans une petite guérite un peu avant l’entrée du teqe. Une partie de la guérite est sur le sol de la montagne mais l’autre moitié est au dessus du vide avec seulement deux pieds métalliques qui la soutienne dans le flanc de la montagne. Je crois que j’ai rarement rencontré une telle dévotion que celle de cet homme. Il faut avoir une foi sans limite en Allah pour chaque jour monter à pieds en haut de la montagne et passer ses nuits suspendu au dessus du vide dans la montagne pour surveiller un teqe!

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Mais qui est Sari Salltik? Et qu’est t-il venu faire a Kruja et précisément en haut de cette montagne? Sari Salltik serait un derviche du 13e siècle, originaire de l’actuel Ouzbékistan. Comme bon nombre de personnages de cette époque, il est à la fois une figure légendaire et une figure historique. Il serait un disciple de Haji Bektash Veli (le fondateur du Bektachisme) envoyé en 1261 avec une troupe de Turkmènes d’Anatolie à Dobruja (en actuelle Roumanie) sur les ordres de l’Empereur Michael VIII Palaiologos, pour protéger la frontière nord de l’Empire Byzantin. Sous l’ordre de Haji Bektash il aurait fondé plusieurs lieux de cultes dans différents endroits des Balkans notamment Ohrid, Corfu, Mostar, Kaliakra et Kruja. C’est là que la légende se mêle totalement au récit historique (qui lui aussi n’a ni sources écrites, ni archéologiques). A Kruja, Sari Salltik aurait combattu un ancien rituel de sacrifice de jeunes filles à un dragon à 7 têtes dans une grotte. Sur les lieux de sa victoire il aurait bati un lieu de culte. L’endroit oú est construit le teqe a Kruja n’est pas sans rappeler la légende. Bien que je ne crois qu’il y ai eu un dragon à 7 tetes à Kruja, on peut penser que dans l’image du dragon se trouve la métaphore du combat du croyant renoncant à son égo pour se consacrer totalement à Dieu (d’ailleurs le dragon avait 7 tetes autant de versets que la première Sourate du Coran).

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Bien qu’il soit évidemment bien difficile, voire impossible, de prouver la véracité tant historique que archéologique de l’existence de Sari Salltik et de la fondation du teqe, le lieu apporte tout de même un bémol à une version de l’histoire de l’Albanie qui a toujours voulu associé l’arrivée de l’Islam aux invasions Ottomanes or Sari Salltik serait passé à Kruja quelque 200 ans avant les invasions Ottomanes et pose donc la question d’une présence Bektashie déjà bien établie sur le territoire albanais bien avant l’arrivée des Ottomans.

Je conseille aux futurs visiteurs de Kruja de ne manquer sous aucun pretexte la visite du teqe Sari Salltik, je peux dire sans aucun doute que c’est l’un des lieux spirituels qui m’a le plus marqué dans les Balkans et Dieu sait combien j’en ai visité!

 

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